J'aime pas Rodon… D'une manière générale, peu de gens apprécie vraiment cette ville – enfin ce dépotoire – mais aujourd'hui la ''musique'' de Rodon est de trop pour moi. Je passais juste déposer un petit lot de pâte-citron à un client au Sin' avant de repartir me laissant guider par le bruit ; prenant la direction qui semblait la plus calme.
Sans grand étonnement je me suis rapproché de Kaboom.
Un peu plus loin un femme gémit… décidément c'est pas mon jour. J'aurais pu déambuler jusqu'à l’extérieur de la ville, mais non, il a fallut tomber sur des ennuis. Alors que je m’apprêtais à faire demi-tour, elle se relève et me dévisage…

Loupé…

Je pousse un soupire et m'approche. Elle est dur à suivre, en plus, elle gueule à moitié.

- S'il vous plaît… moins fort… mais oui, mais oui, je vais le retrouver votre fils. Juste… calmez-vous.

Si tout les parents étaient aussi hystérique que ça… Faut qu'elle s'y fasse hein, si elle n'a pas encore perdu d'enfant ça finira par arriver un jour ou l'autre.
J'ai la tête en vrac et je cherche un gamin paumé… Avec un peu de chance il s'est juste trouvé un coin au calme et s'est bâti un petit fort.

Y'a pas de bon coin pour se cacher que je connaisse dans le coin ?

Le menton perdu dans le creux de la main, tandis que de l'autre je masse une tempe, je médite profondément. Mon regard allant de la mère à la bâtisse en ruine, marmonnant à moitié.
Tout de même, c'est juste à côté, elle a dû la fouiller…
Mais c'est pas sûr…
Elle va croire que je me fous de sa gueule !
Ça serait peut-être mieux d'aller vérifier ?
Du temps perdu !
Mais…
J'allais la questionner, lorsque je croise son regard insistant posé sur moi.

- Oui, oui, je vous le ramène, j'ai dis.

Peut-être pas entier cela dit.
Et son regard… c'est qu'elle commencerait à me faire sentir coupable… Alors je traîne plus et pars en direction de l'arbre mort. Peut-être que je tomberais sur l'amas de roche en chemin, ou que je me rappellerais où il se trouve.
En avançant dans Kaboom, je tends l'oreille, à l’affût du moindre bruit. Si le gamin ne doit pas en faire beaucoup, ce n'est pas le cas de tout ce qui traîne dans le coin.

Impossible de me concentrer sur les alentours, juste de vieux cris perdus qui viennent faire écho à mon mal de tête qui n'en finit pas.
Plus loin… un croassement ?
Je m’arrête, jette un œil dans la direction d'où venait le son, scrute le ciel… Non, apparemment ce n'était pas des charognards en train de se battre autour de leur pitance. C'est trop calme. Qu'est ce qui lui a prit de venir se paumer à Kaboom déjà ? Ça, c'est une bonne question. C'est turbulent un môme, mais ça se barre pas non plus sans raison… surtout de notre temps. Et la mère, je sais pas pourquoi je la sens pas : trop émotive. Ça cache quelque chose, a tout les coups, elle a un truc à se reprocher.
Je ne perd pas mon temps à me retourner et résorbe l'embryon de paranoïa qui commence à germer dans mon crane douloureux. Aucune chance qu'elle l'ait tué et qu'elle m’envoie le chercher pour, au final, m’accuser… Nan ? C'est louche tout de même, je ne peux m’empêcher d'y penser un peu, tout en tentant de me raisonner. Malgré tout, je continue ma route. Les arbres morts, au moins, sont dignes de confiance !

J'avance de plus en plus prudemment. Ce n'est pas que l'effet Kaboom. Pourquoi elle le cherche pas la mère en plus… De plus en plus je me demande si l'aider était une bonne décision. Enfin… je ne vais pas abandonner maintenant que j'arrive à l'arbre. L'air chargé en particule diverse me force à me couvrir la bouche dans un replis de mon col tandis que je sors un linge pour m'abriter derrière. On pourrait respirer mieux étant donné qu'il y a moins de monde dans le coin… mais évidement qu'il allait y avoir un autre soucis.

L'arbre mort… si on peut toujours l'appeler comme ça. Un triste tronc sur lequel pendent, piteusement, deux branches sèches. Et pas de signe du gamin… j'aurais pourtant juré que c'était une bonne cachette. Bon sang mais ou peut-il s'être caché ? Je regarde plus attentivement, et…
Qu'est-ce que ce que ça ? Un truc qui brille !? Une chose précieuse à échanger ?!

Je plonge la main vers l'éclat dans le tronc.

« Crac »
Comment ça : crac ? Je suspends mon geste, arrête de respirer et, lorsque je comprends ce qui est en train de se passer, une seule pensée me traverse : Protège ta tête !

- Et m…

Je tombe.

Une brève chute, peut-être trois mètres.
Le souffle court, j'observe la branche qui me nargue un peu plus haut.

Quelques gravats continuent de dévaler alors que j'arrive finalement à me relever, sans trop de mal. Je fais un rapide check-up, mais, à part mon crâne que la situation n’épargne pas, je n'ai mal nul part et aucune perte matérielle – pas que j'avais grand-chose à perdre, j'avais déposé mon colis, mon sac est presque vide.
Faut dire que mon atterrissage a été tout en douceur. Même si il a flingué ce qui restait d'un bon matelas… presque pas pourri, quel gâchis…
Il ne me faut pas longtemps pour comprendre… Je viens de détruire le logement de quelqu'un. Plus de toit, plus de literie.

Les flammes du foyer vacillent sous le coup du courant d'air nouvellement formé.

J'observe les alentours, à la recherche de traces récentes – des pas d'enfant, peut-être ? – et de possession diverse ; vieux réchauds, tas de fringues ou autres. Tout ce qui pourrait démontrer que la personne ne s'était pas installée ici de façon durable.
Même si à première vue, il n'y a pas grand-chose. La présence du feu et surtout des torches, toujours allumées, attestes de sa présence il y a peu.
Ce n'est pas que je suis pressé de faire sa connaissance… On partirait sans doute du mauvais pied.

Je pèse les pour et les contres, une imprudence à la fois, ça suffit. Même si la voie de gauche semble m'appeler, si je trouve la moindre raison d'explorer une galerie sous Kaboom…
Y a-t-il la moindre raison suffisante pour ça ?? Avec tout ce qu'on raconte sur l'endroit…
… Je crois que je déteste ce mioche d'avance…

N’empêche, j'avais raison : il réservait bien une cachette ce foutu arbre.

Un immense aigle rouge… ça pue le délire mystique ce truc. C'est artistique je dis pas, je serais peut-être même resté le contempler quelque temps si des bruits sordides n'avaient pas précipiter ma décision : direction la galerie de gauche. Prudence est mère de sûreté à ce qu'on dit, dommage pour le morveux qu'il ne soit pas né dans cette filiation.
Puis y'a pas de trace de lui ici… je reste pas !
Je chope une torche en passant au cas ou et file vers la lumière de la surface.

Le manque de déco de l'endroit me désole. L'artiste aurait pu faire des fresques un peu partout…
La lumière se fait plus proche. Elle n'est pas seule. On me bloque le chemin.
Derrière moi, quelqu'un que j'ai entendu et qui m'a certainement entendu également, devant un type qui m'a certainement vu. Je regarde ma torche un moment… Sûr que je suis cramé, c'est pas discret de ce trimbaler avec une torche.
Il n'a pas l'air de bouger… ça se trouve il est mort. Ça serait pas la première fois qu'on utilise un cadavre comme épouvantail. On voit pas sa tête… et les lentilles colorées c'est pas le meilleur. L'une et rouge et l'autre ??
C'est vert…
Il faut que ce soit vert !
Comme ces étranges lunettes en plastique que les camés mettent pour égailler leurs trips.
Je m'approche un peu, tout en restant à distance respectable, tenant la torche un peu de côté, et tente d'entamer le dialogue avec lui (à voix basse, au cas où il dorme) :

- Hey salut ? … Heu, je cherche un gamin perdu, ça te dis un truc ?

Je le fixe. Lui. Ses lames. Son masque. Il a vraiment l'allure d'un chasseur… Si tant est-il qu'il y en ait une allure spécifique. Mais si on me demande d'en imaginer un, c'est ça qui me viendrait. Plus ou moins.

Je le scrutais pourtant attentivement… et bien décidé à lui foutre un coup de torche si ça tournait mal. Faut pas compter sur ses réflexes. En tout cas, il dormait pas. On ne peut pas être si vif au réveil, puis avec le bruit que j'ai fait en arrivant… Je le regarde alors qu'il me balance sauvagement. Un coup de genou dans l'estomac ? Ça se tente ?

- Un gamin, hein ? T’en fais pas mon gars, tu vas l’rejoindre bien assez tôt.

Ah bah… Comme quoi, il suffisait de demander.
Bon, on va passer sur ses manières.
Je me laisse faire et laisse tomber mon projet d'attaque (probablement vain). On commence à repartir vers les autres galeries. Il me traîne à moitié derrière lui, avançant à grandes enjambées dans les sombres souterrains.

- Vous savez, je peux très bien marcher tout seul !

Il n'a même pas l'air de s'étonner de l'état du camp. Stoïque le type… Je sais pas comment je réagirais si on défonçait mon toit. On continue la route, sans commentaire… niveau accueil, c'est zéro.
Il conclut la visite en m’encageant.

- Nan, mais je vous jure que j'ai pas fait exprès pour le plafond…

Je pousse un soupire alors qu'il repart.
Carmin ? C'est une couleur ou une épice je sais plus trop. Que ça soit son nom ou un surnom, je n'ai pas vraiment envie de le rencontrer. Surtout si c'est le sadique qui rigolait tout à l'heure.
Je laisse mes yeux s'habituer à l'obscurité ambiante avant de jeter un regard sur les autres prisonniers. Le gamin est ici ? Si je suis censé le rejoindre plus tard ça va commencer à craindre, je crois…

En tout cas, la qualification des geôliers baisse d'année en année dans la Foule… Il ne m'a même pas fouillé.
Je sors un ensemble de filin métallique et d'épingles ou tout genre dégoté à droite et à gauche dans de vieux tas de ferraille. J'ai toujours préféré la subtilité d'un crochetage au défonçage barbare. J'ai pas la carrure ni la force pour, alors quand je tombe sur un verrou pas assez rouillé faut se démerder.

- Je sais pas vous, mais j'aime pas trop être enfermé…

Je me penche vers le système de verrouillage afin de voir ce que je peux tenter avec mon matériel rudimentaire… et mes compétences qui n'en sont pas loin.

Un vieux type, bien décharné, vient ajouter un dose de défaitisme à la situation. Comme si j'avais besoin de ça… Je l'observe du coin de l’œil en commençant à jouer avec le code du cadenas.

- J'ai pas encore tenté, donc tout n'a pas été tenté ! T'es là depuis longtemps ?

Je fais glisser doucement chaque cylindre jusqu'à sentir une résistance. Si le code n'a pas été modifié l'usure l'aura enregistré. Rester à être attentif aux marques du passé… et faire abstraction du vieux, trop récent, de l'autre cellule qui risque de me déconcentrer.
Pourtant, je reprends, faut croire qu'être enfermé ça me rend causant :

- Si je dois rejoindre Vic de toutes façons, autant que ça soit par le chemin le plus court. Je suis pas le genre patient lorsqu'il s’agit de moisir dans l'obscurité et la putréfaction.

Une fois le code composé, j’insère l'épingle puis le filin dans la serrure et tente de me passer de la clé.

- Pis le grand s'est gouré de prisonnier… je cherchais un gamin, pas un vieux… ça m'étonnerait que la mère l'ait égaré depuis si longtemps son gosse.

J'ai à peine jeté un œil sur la troisième cellule… rien qu'à l'odeur, j'ai su ce qu'il y avait dedans. Quoi que j'ai eu un doute, tant les miasmes qui embaument cet endroit semble avoir des origines diverses, toutes aussi peu ragoûtantes les unes que les autres. Ils pourraient faire le ménage quand même.
Par l'Aigle Rouge, si t'es censé aider quelqu'un à un moment ou un autre, moi, c'est maintenant que j'en ai besoin. Sait-on jamais, si les croyances locales peuvent servir…

Je marmonnais des prières sans conviction, en me concentrant plus sur les manip' que sur les plaintes du vieux, lorsque pof, au milieu des rires dément, le cadenas cède. Sans attendre je m'en saisis et le retire des barreaux, en forçant un peu dessus.
Est-ce que je dois remercier l'aigle rouge ou plutôt m'étonner que mes maigres compétences de crochetages aient suffit ?… J'en sais rien, et ça n'a aucune importance.
J'ouvre doucement la porte rouillée.

- C'est déjà un pas de fait ! Et y'a quoi de drôle avec le gamin ? C'est un piège, c'est ça ?! La mère, c'est leur rabatteuse ? Ouais, ouais… ça m'apprendra à essayer d'aider des inconnus… Bon, me reste plus qu'à sortir d'ici.

Je conclus ainsi sans même vraiment lui laisser le temps de répondre, ça me trottais dans la tête depuis la surface et son rire a finit de me convaincre.

- Et toi, tu continues de poireauter ici ?

Pas sûr que je puisse l'aider, la moitié du nécessaire est restée collée dans la serrure de ma cellule. Mais ça coûte rien de demander.

- Ah…

Quelque part, je suis déçu. Elle tenait debout ma théorie. Refroidi dans mon élan, mes épaules se relâchent. Va falloir que je traîne encore dans ces couloirs un moment. Bon gars ou pas, c'est plus compliqué que ça. Le bon gars, il fouille un peu la surface pour retrouver un môme. L'abruti, il glisse et finit par devoir placer dans la balance la vie d'un chiard inconnu et de son internement à vie dans une geôle sordide prenant la place d'un tas d'os lorsque celui qui était déjà présent allait finir par perdre le peu de chair qui solidarisait la peau au reste. Puis, j'ai même pas encore pu goûter à tout le service, mais l’avant-goût ne prête pas la meilleure hospitalité. Non, décidément, on a passé le cap du bon gars.
Je soupire l'écoutant sans vraiment le regarder.

- Merci, j'y vais de ce pas ! … Et, adieu du coup.

Je lui fais un petit geste pour accompagner mes paroles et sans attendre qu'il se soit rassis. Sa simple vue est… douloureuse. En vrai, je lui souhaite de crever tôt. Je sais même pas pourquoi il s'est accroché tout ce temps si il ne compte même pas essayer de sortir… Je préviendrais quand même des chasseurs. Si y'a de la vénération d'aigle dans l'air, sûr que ça va les intéresser. Je tourne de mes talons usés vers la nouvelle cour intérieure.
Avec un peu d'entretien, cet endroit serait vraiment pas mal. Et tant pis pour la pièce du fond, je ne suis pas là pour visiter.

Si je ne croise aucun problème, je poursuivrai sans m’arrêter vers ma gauche, dans le passage éclairé à la torche.

Nouvelle salle, nouvelle ambiance, même odeurs. Ça semble imprégner chaque murs. Ou alors c'est la fameuse odeur des vieux ? Bizarre, ceux qui je connais ce n'était pas tout à fait ça. Après ils ne sont peut-être pas si vieux que ça ces deux là. La décrépitude qui les atteint noircis un portrait déjà peu flatteur. Celle-là tient un bouquin. J'ai toujours eu un grand respect pour ceux qui savaient lire. J'en ai passé du temps à écouter des vieux conteurs – à l'odeur tout à fait quelconque – alors que je fuyais mes parents.

J'ai pas envie de la déranger. J’arrête de la scruter pour inspecter les alentours. Après un moment, je ne tiens plus, et quitte à ouvrir la bouche pour respirer, autant échanger quelques mots.

- C'est de vous la peinture dans l'autre salle ?