Je n'ai jamais connu que le Haut. Sa cité blanche et opaque comme un voile sur les atrocités de ce monde. Autour de moi, je ne vois que la richesse, la luxure, le plaisir de vivre oisivement. C'est ce que j'ai toujours connu, et c'est cette richesse à laquelle mes parents aspirent pour le reste de ma vie, de mon avenir.

Ma mère est institutrice, et mon père politicien. J'ai une grande soeur, de sept ans mon aînée, Teyssa. J'ai toujours bien vécu. On a toujours attendu de moi que je sois à la hauteur, que je donne le meilleur de moi-même. Les Mortifer sont une famille noble et respectée. Elle a toujours réussi à se démarquer dans la cité, par l'éclat de mes parents. Aujourd'hui, ils comptent sur ma soeur et moi pour nous passer le flambeau. Tâche qui ne fut pas aisée pour ma part. Teyssa, par son intelligence et sa rigueur, fait des prouesses dans tout ce qu'elle entreprend et mérite bien des louanges. Ce n'était toutefois pas mon cas.

Déjà petite, ma mère eut du fil à retordre pour m'éduquer. Non que j'étais idiote ou irrespectueuse, disons simplement que les tâches intellectuelles n'avaient que peu d'intérêt pour moi, et que dès lors, apprendre à écrire ou lire paraissait d'une inutilité profonde. Je me souviens encore de ces heures passées derrière ces feuilles de papiers parsemées de lettrages noires sans queue ni tête. Après les heures passées à l'école, ça recommençait dès qu'on rentrait à la maison, supervisée à chaque instant par la matriarche toute puissante.

Imaginez-vous bien, la petite cadette de la famille Mortifer devenir la risée de la cité. Une fois mes 12 ans passée, au revoir les primaires, et au revoir ma maman prof qui ne pourra plus cacher aux autres que sa fille est en réalité, la pire élève de la classe. C'était une véritable course contre la montre. Et plus le temps passait, moins les progrès venaient.

Pour pallier à cet inopportun détail, ma famille au complet tentait de me secouer en me parlant longuement de la vie horrible que menaient les gens dans la Foule. De l'air irrespirable qu'asphyxiait le peuple, de l'effroyable manière dont les Autres faisaient justice, lapidés, lynchés, tués dans d'atroces souffrances. Ma soeur prenait d'ailleurs un malin plaisir à me raconter de sordides histoires qui venaient d'en Bas. Des rumeurs qui circulaient à l'école, que l'un ou l'autre élève avait dû descendre parce qu'ils n'avaient pas de beaux points, reniés par leur famille. Ils me disaient que je devais me considérée chanceuse d'être encore là malgré mes problèmes d'apprentissage.

Dans mon adolescence, mes parents m'emmenaient régulièrement au tribunal, voir ces quelques scènes, où des aigles blancs déchurent. Du haut de la cité, ils allaient tomber au plus bas. J'ai déjà vu, par quelques fois, le visage déconfit des gens trop instables, pas assez intéressants, au moment de descendre en enfer, dans la Foule. De leurs cris désespérés, des tentatives et des propositions qu'ils faisaient encore alors qu'on les amenait vers leur funeste et inéluctable destin, poings et mains liés.

Une chance dans ce malheur, ma rencontre avec mon mentor, celui que je considère parfois comme étant mon vrai père. Au détour d'une rue, je l'ai vu chipoté à des appareils électroniques et réussir à les faire refonctionner. Comme une révélation, je lui avais demandé de voir comment il avait fait, de me montrer, et puis de me laisser essayer. De fil en aiguille, je venais le rejoindre chaque jour, pour continuer à rafistoler de vieux électros, ou bien même aider à la réparation de colossus démantibulés pour servir Stelios.

Mes parents ne furent pas ravis à l'annonce que je leur ai faite, quelques mois plus tard, lorsqu'ils me demandèrent une énième fois ce que je voulais faire à la fin de ma scolarité. Néanmoins, cette réponse était certes mieux que le silence que je leur offrais avant. Je suis désormais mon précepteur depuis quatre ans, afin d'aspirer au rôle d'électro-informaticienne.